Interpréter la loi, un Conseil en moyenne et grande section


Clarisse a critiqué Jules dans le cahier de Conseil. Ils sont l’un et l’autre en grande section de maternelle :

« Il m’a fait tapé très fort sur la poitrine à la récréation et il n’arrête pas de lancer du sable. »

La critique demeure en souffrance depuis déjà 15 jours : Jules s’est trouvé absent lors des conseils précédents et Clarisse a désiré maintenir son inscription.

Je m’attends à un Conseil difficile : il est 16 h 10 et la journée a été agitée : l’emploi du temps ordinaire a été assez bousculé du fait d’ateliers extraordinaires avec les parents. J’appréhende les remarques stigmatisantes ou expéditrices, le manque d’écoute et le désintérêt général car nous sommes tous fatigués.

Dès l’énoncé de Clarisse, Jules s’enfonce dans le banc et se contente comme fréquemment de faire des bulles avec sa bouche dans un mouvement de dénégation et de mauvaise humeur.

Les doigts se lèvent pour demander la parole :

Clarisse précise : « Moi, je te demande de me répondre ! »

J’ajoute en tant que présidente du conseil que le Conseil est fait pour ça, pour se parler puisque la parole n’a pas pu être possible avant.

Inès : « Il y a peut être des enfants pour qui c’est dur de s’expliquer, ils y arrivent pas, et se tournant vers Jules, « là, Clarisse te propose de t’expliquer maintenant, essaie. »

Jules grommèle quelques mots dans lesquels il ressort que d’abord il ne s’en souvient plus et qu’en plus ce n’est vrai. Mais plusieurs autres enfants qu'il a déjà agressés, soulignent :

« Tu fais souvent ça dans le sable, tu t’énerves et tu fais n’importe quoi. »

Clarisse : Il y a la loi, « Je ne fais pas mal »… tu le sais bien.

Corentin : Oui c’est écrit, on en a parlé plein de fois.

Clarisse cherche une idée. Il me semble qu’elle ne souhaite pas recourir à l’amende comme cela est très fréquemment le cas, clôturant tout échange. Je suis surprise de l’écoute de tous, inattendue.

Clarisse : « Il faudrait faire un tour de tous ceux qui ont un meilleur copain…on leur demanderait, c’est qui ton meilleur copain ? et comme ça…les meilleurs copains, ils pourraient dire, « Arrête à leur copain qui ferait une bêtise ».

Maëlle : « Moi j’ai une autre idée, à tout le monde il faudrait mettre un petit papier, pour ceux qui respectent pas la loi, qui font mal… »

Corentin : « Oui, on écrirait la loi dessus. »

Jules : « Oui mais si on sait pas lire, c’est pas malin. »

Maëlle qui poursuit son idée : « On pourrait mettre le papier dans la poche du pantalon, comme ça on pourrait savoir… »

Teggy : « Pas dans la poche, on va le perdre… »

Gabriel qui revient peut être à l’idée de Clarisse : « Si Karim te faisait mal, je m’inscrirais.. »

Léa : « Moi, ma meilleure copine c’est Clarisse, si je m’énerve, elle pourrait venir me dire… »

La maîtresse : « Est-ce que tu veux dire alors que tu l’écouterais et que tu pourrais peut-être plus facilement t’expliquer ? »

Léa : « Oui »

Clarisse : « Et pour Jules, ça ferait pareil, c’est qui son meilleur copain ? »

Plusieurs doigts se lèvent.

Elle reprend : « Si c’est toi, Mathéo, son meilleur copain, alors tu irais parler avec Jules pour lui dire qu’il est train de faire des bêtises et il s’arrêterait. »

Maëlle : « Oui, mais ce n’est pas mon idée, moi je propose pas ça. »

Mais le temps passe.

D’une question dont je pensais qu’elle serait expédiée rapidement, alors que, souvent, je trouve difficile ces moments de Conseil où beaucoup semblent passifs, ailleurs, désinvestis, j’entends une écoute et des prises en compte inattendues :

Jules, Teggy qui ne participent jamais,

Corentin actuellement privé de ses droits car sans cesse dans la provocation par rapport au respect des règles de vie,

Clarisse dont je sens qu’elle cherche non pas à exclure Jules par une amende sèche mais à le réintégrer dans la classe malgré son geste sans pour autant faire comme si de rien n’était.

Et je vois bien que les autres mêmes s’ils ne prennent pas la parole directement, écoutent, approuvent, soutiennent telle ou telle proposition : il y a comme un frémissement devant ces échanges dans lesquels, enfin, j’interviens peu : ce sont Inès, Clarisse, Maëlle, les grandes de la classe qui prennent enfin leur place de grandes pour parler, échanger, solliciter les autres enfants, poursuivre des idées qui s’échappent de nos solutions souvent trop rapidement toutes prêtes.

Est-cela se sentir responsable de la responsabilité d’autrui ? Responsable de la façon dont Jules est présent dans sa désinvolture à la classe, responsable et donc aidant pour trouver une aide qui soit pertinente à la fois pour Jules et pour la classe ?

Jules conclura ce Conseil en demandant l’aide de son copain Mathéo qui viendra parler avec lui lorsqu’il négligera d’écouter les autres, pris dans l’oubli de ce qui se passe autour de lui. Il avait entendu ce que Clarisse avait à lui dire et n’avait pas été exclu.

 

Martine Plainfossé